Réfléchir l’inclusivité dans un jeu - le cas de Constellations

Chez Gender Games, nous existons pour participer à notre manière à un monde plus juste, plus équitable, pour que chacun·e puisse mieux vivre. Lorsque nous publions un jeu, nous tentons de penser la manière dont l’objet va être approprié par chacun·e. Nous ne sommes pas tous·te·s des hommes occidentaux blancs cisgenres hétérosexuels neurotypiques valides et de classe moyenne. Le vécu des personnes qui jouent à nos jeux peut être teinté de racisme, de transphobie, de sexisme, de précarités diverses, etc. Comment les prendre en compte, en parler de manière ludique et développer l’empathie de nos joueur·euse·s ?

En ce moment, notre nouveau jeu Constellations est en pré-commande sur Kickstarter . C’est un outil que nous avons imaginé pour pouvoir animer des discussions facilement et avec tout le monde autour des relations non-exclusives. Sujet intense et encore tabou dans beaucoup d’espaces, nous l’avons pensé pour qu’il soit facile à prendre en main et permettre de passer un moment joyeux et convivial.

Avec l’écriture inclusive 

Constellations est en écriture inclusive, ce qui signifie que certains mots sont contractés (ex: «ma» et «mon» deviennent «maon») et que les accords féminins et masculins sont visibilisés en même temps grâce au point médiant (ex : « jaloux·se »). C’est un choix qui a été fait pour démasculiniser le langage et être inclusif de celleux qui ne se genrent pas strictement au féminin ou au masculin.

Nous nous sommes posés plein de questions comme par exemple quel type d’écriture inclusive utiliser (nous avons fait le choix du guide édité par l’université de Toulouse) ou encore comment fluidifier la lecture même pour les personnes qui n’ont pas l’habitude de cette écriture-là. Nous avons même discuté comment accorder après un nom féminin comme “une personne”. En effet, c’est un mot féminin dans la langue française, donc est-ce une bonne idée “d’effacer” le féminin derrière l’inclusif ? Par exemple : “Une personne de mon entourage m’apprend qu’iel relationne avec quelqu'un·e qui est déjà en couple”.

Notre conclusion est que l’écriture inclusive n’efface pas le féminin mais qu’elle sublime au contraire la complexité et la diversité des identités de genre, permettant de sortir d’un rapport de force masculin versus féminin en choisissant une autre voie : celle de la myriade d’identités et du plaisir de s’exprimer vraiment ensemble. Une voix provocatrice au sein de l’équipe Gender Games nous a même soufflé : “Le genre est une construction sociale qu’il faut déconstruire et dans le fond on est tou·te·s non-binaire. Vous verrez quand vous aurez eu le temps de process toutes ces questions !”. L’avenir nous le dira…

Le vocabulaire employé : jargon ou not jargon, anglicisme ou not anglicisme. 

Nous avons cherché à ne pas bourrer le jeu de jargon spécifique aux milieux polyamoureux et des relations multiples en général. Quelques essentiels sont abordés, comme le mot “métamour”, qui désigne les partenaires de nos partenaires, que nous ne considérons pas comme nos partenaires (apprécie la formulation alambiquée). Le lexique se limite donc à 25 termes environ. Les anglicismes ont aussi été évités autant que possible, quitte à perdre un peu en fluidité. Par exemple, le mot “date” est plus simple à utiliser que “rendez-vous”.

Nous publierons prochainement un article plus complet sur les choix de vocabulaires et les définitions utilisées dans le jeu.

Intégrer des cartes situations qui permettent de parler des discriminations

Nous avons formulé et inclus volontairement des cartes qui permettent aux joueur·euse·s de pouvoir exprimer et partager les discriminations et les difficultés qu’iels subissent s’iels en ont envie, dans un contexte bienveillant ou entre concerné·e·s.

Quelques exemples :

• La plupart des personnes avec qui j’échange sur les sites de rencontre me fétichisent
• Lorsque j’annonce ma non-exclusivité à de nouvelles personnes, iels sont souvent très surpris·es
• Un·e nouveau·elle partenaire me confie qu’iel doit cacher notre relation pour ne pas perdre la garde de ses enfants
• Un·e proche à propos d’un évènement pour la communauté non-exclusive déclare : « Je n’y vais plus, il n’y a jamais de personnes qui me ressemblent »
• C’est une période compliquée financièrement pour moi et les rendez-vous qu’on me propose ne passent pas dans mon budget
• Une nouvelle rencontre me confie qu’iel est trans* et/ou intersexe

Relecteur·ices avec des regards et vécus différents, sensitivity reader ou diversity editor 

Le jeu a été créé, joué, relu, commenté et modifié par des personnes blanches et racisées, neurotypiques et neurodivergentes ou neuroatypiques, de langues natives et apprises variées, cisgenres et transgenres, de classes sociales et de générations différentes, concerné·e·s ou non par le sujet des relations multiples.

Nous avons également choisi de payer la prestation d’une sensitivity readeuse professionnelle, que nous avons contacté via cette liste collaborative qui était auparavant disponible sur Planète Diversité. Pour en savoir plus sur ce métier, lire l’article "Sensitivity reader : le nouveau job qui permet d'éviter les propos sexistes, racistes ou homophobes” du site l’ADN. Nous avons vraiment apprécié cette phase du travail d’édition et de réécriture. Un travail enrichissant qui a permis de prendre en compte des points de vue que nous n’avions pas toujours anticipé·e·s.

Il nous paraît important d'insister sur une chose : les diversity editor et nos relecteur·ice·s ne sont pas des cautions anti-oppression pour nos contenus. Ce sont des personnes avec des expertises et points de vue variés et qui vont nous apporter des recommandations, à nous de choisir de les suivre ou pas. Si un contenu est à améliorer dans le jeu, c’est nos responsabilités d’autrices et de maison d’édition qui sont engagées.

Accessibilité du jeu pour les déficient·e·s visuel·le·s 

Lorsque nous choisissons un design, nous avons à cœur de pouvoir dans la mesure du possible choisir des polices lisibles, des couleurs contrastées, tout en se faisant plaisir sur le rendu visuel final. C’est peut-être l’exercice sur lequel nous avons le plus de progrès à faire. C’est aussi un travail à développer en collaboration avec les graphistes qui travaillent avec nous.

Nous avons eu un échange très enrichissant avec Accessi-Jeu au festival professionnel du jeu de Vichy. C’est une association qui milite pour plus d’accessibilité des jeux de société pour les personnes déficientes visuelles. Avec eux, nous avons testé sur nos jeux l’application Seeing AI qui permet de pouvoir lire en direct à haute voix un contenu via son mobile. Un réflexe à avoir la prochaine fois pendant le développement de nos jeux !

C’est d’ailleurs pour cette raison que lorsque nous utilisons l’écriture inclusive, nous le faisons avec le point médian “·” et pas le point classique “.”. En effet, dans le second cas, la lecture vocale automatisée lit un point final. Voici deux deux guides sur Mots·Clés et sur Rebellyon pour savoir comment faire le point médian sur votre clavier selon votre système d’exploitation..

Et enfin… le prix ! 

Nous souhaitons faire imprimer nos jeux dans des conditions optimales pour les travailleur·euse·s et valoriser les compétences européennes, tout en proposant un prix final pour chaque jeu qui reste accessible et en gagnant suffisamment d’argent pour que Gender Games puisse continuer à fonctionner. Pas facile de faire coïncider tous ces paramètres.

Dans le cas de Constellations, nous avons donc fait le choix d’un imprimeur en Italie avec des cartes fabriquées en France. Nous proposons également une version print&play à petit prix afin de permettre au jeu d’être encore plus accessible, notamment géographiquement, car pas de frais de port à prévoir !

Nous espérons que tout le soin que nous avons mis lors du développement et de l’édition du jeu vous permettra de pouvoir profiter pleinement de vos parties. Et vous, l’accessibilité des jeux de société, vous en pensez quoi ? Vous la travaillez comment ?

- Article rédigé par Eva, co-autrice de Constellations.